La première fois où le danger des pesticides sur l’environnement a été soulevé était en 1962 par Rachel Carson. Dans son ouvrage intitulé « Silent Spring », elle met en évidence le côté sombre des pesticides, jusqu’alors, considérés comme des molécules divines.
En effet, elle décrit treize molécules actives impliquées dans la mortalité d’oiseaux pêcheurs. Elle les nomma « Dirty Dozen » (tableau 1) (Carson, 1962).
Depuis, d’autres cas de mortalité de poissons, de bétails et d’animaux domestiques ont été signalés. Plusieurs études ont montré que les pesticides utilisés terminent généralement dans les cours d’eau environnants ce qui influence négativement la faune et la flore locale (Vecchia et al., 2009). Des recherches récentes estiment que parmi les 2,5 millions de tonnes des pesticides épandus chaque année dans le monde, uniquement 0,3% atteignent leur cible.
99,7% des pesticides se dispersent dans l’environnement et contaminent ainsi les différentes espèces animales et végétales induisant de graves conséquences.
Il existe plusieurs mécanismes de transport qui permettent aux pesticides de quitter la parcelle et de se retrouver dans l’environnement. Le phénomène de volatilisation des particules permet aux pesticides de se retrouver dans l’air sous forme gazeuse (Gish et al., 2011).
Leur persistance dans l’atmosphère dépend de leur photodégradabilité. Ainsi, certains peuvent voyager dans l’air, s’accumuler, se condenser et retourner dans l’eau ou sur le sol sous forme de précipitations ou de fine particules solides.
D’autre part, les molécules de pesticides qui finissent sur le sol seront soumises à des phénomènes de rétention, d’adsorption, d’infiltration, de diffusion qui sont contrôlés par les propriétés du pesticide et du milieu. Elles peuvent également être transportées par la solution du sol et être entraînées dans les eaux souterraines par des processus d’infiltration et de percolation (Mirsal, 2004). La Figure 4 résume les phénomènes auxquels les pesticides sont soumis une fois dans l’environnement et qui gèrent, par la suite, leur devenir (Barruiso and Houot, 1996).
L’immense variété de la structure et de la composition des pesticides utilisés rend le danger de ces molécules plus intense et la prédiction de leur devenir, particulièrement dans un milieu complexe comme le sol, très difficile.
Parmi les principales familles de pesticides incriminées dans des cas de contamination de l’environnement, on peut citer :
-Les organochlorés :
ce sont des hydrocarbures chlorés, comme le Dichloro-DiéthylTrichloroéthane (DDT) synthétisé dès les années 1940. Ces molécules sont très stables
chimiquement. Le DDT a été utilisé partout dans le monde dans la lutte contre les insectes, jusqu’à ce que l’on découvre qu’il était peu dégradable et pouvait se concentrer dans les organismes en bout de chaîne alimentaire, par bioaccumulation, avec des risques certains pour la santé humaine. Son utilisation est aujourd’hui interdite dans de nombreux pays tempérés, mais nous en trouvons encore beaucoup dans les milieux aquatiques. En outre, il continue à être employé dans certains pays tropicaux.
-Les organophosphorés :
ce sont des composés de synthèse qui se dégradent assez rapidement dans l’environnement mais qui ont des effets neurotoxiques sur les vertébrés.
-Les pyréthrinoïdes :
ce sont des insecticides de synthèse très toxiques pour les organismes aquatiques. Une pollution accidentelle des eaux par ces composés peut être dramatique.
Tableau 1 : Les pesticides écologiquement dangereux selon l’ouvrage « Silent Spring » (Rachel Carson 1962)
*DDT : Dichloro-Diphényl-Trichloroéthane
*HCB : Hexa-Chloro-Benzène
*HCH : gamma-Hexa-Chloro-Hexane
1 Contamination des eaux par les pesticides
Depuis les années 1990 et jusqu’à nos jours, la pollution des eaux par les pesticides a fait l’objet d’un très grand nombre de publications scientifiques décrivant l’état phytosanitaire et la qualité des eaux provenant de milieux très divers (eau douce, eau de mer, eau d’océan, eau de surface, eau souterraine ou d’irrigation) ainsi que l’accumulation des résidus de pesticides dans les organismes vivants aquatiques (poissons et invertébrés) (Bunzel et al., 2013; Huang et al., 2007; Köck-Schulmeyer et al., 2013; De Liguoro et al., 2013; Di Lorenzo et al., 2013; Masiá et al., 2013). La contamination des eaux par les pesticides est la plus étudiées par rapport à celle des autres compartiments (sol et atmosphère).
En Europe, ce n’est qu’au début des années 1980 que la qualité des eaux, (souterraine et de surface) et sa préservation des différents contaminants ont commencé à attirer l’attention des responsables. Ainsi, le Conseil des Comités Européens a approuvé la directive 91/414/EEC et 98/8/EC en 1991 et 1998 respectivement. Ces deux directives ont pour objectif de déterminer la réglementation et les lois qui gèrent l’utilisation et la commercialisation des pesticides au sein de l’Union Européenne (Köck-Schulmeyer et al., 2013). D’autres directives (2000/60/EC en 2000 et 2006/118/EC en 2006) sont ensuite apparues pour déterminer les doses maximales des résidus de pesticides dans les eaux souterraines et de surface. Les lois européennes ont ainsi interdit l’utilisation de plusieurs substances (telles que les composés organochlorés) en raison de leur toxicité élevée et leur persistance dans l’environnement.
Malgré leur interdiction, des traces de ces molécules sont retrouvées jusqu’à présent particulièrement dans les eaux souterraines ce qui confirme la difficulté de leur dégradation.
En 2004, L’Institut Français de l’Environnement (IFEN) avançait que 80% des eaux de surface et 57% des eaux souterraines analysées présentent des concentrations en pesticides supérieures au seuil de potabilité et induisent la perturbation du milieu aquatique. La majorité des molécules détectées appartiennent à des familles d’herbicides.
L’étude de Loos et al. (2010) est considérée comme étant la plus récente et exhaustive en Europe. Celle-ci montre que les produits de dégradation de l’herbicide triazine (en particulier l’atrazine, desethylterbutylazine, simazine, et la terbutylazine) sont les contaminants majeurs de l’eau souterraine en Europe malgré leur interdiction depuis 2004.
Ces résultats ont été confirmés par l’étude de Köck Schulmeyer et al. (2013), dans laquelle les résidus indiqués ci-dessus ont été détectés dans la moitié des échantillons étudiés (233 échantillons d’eau souterraine provenant de différentes régions d’Espagne).
Il est important de signalé que les réglementations gérant l’utilisation et la commercialisation des pesticides deviennent de plus en plus rigoureuses dans les pays développés alors que, l’Organisation des Nations Unies pour l’Alimentation et l’Agriculture (FAO) estime que 500 000 tonnes de pesticides obsolètes ont été pulvérisés en Afrique, en Asie et en Amérique latine pendant ces dernières années (Köhler and Triebskorn, 2013).
2 Contamination des sédiments par les pesticides
Les sédiments constituent un élément privilégié pour rechercher l’état de la pollution d’un système aquatique. En effet, la plupart des polluants chimiques sont adsorbés sur les matières en suspension et ont tendance à sédimenter. Leur analyse permet de situer les apports de polluants et de déterminer leur dispersion dans le milieu environnant. L’étude de l’accumulation des organochlorés au niveau des sédiments a connu beaucoup d’intérêt de par le monde. La norme est fixée entre 1 et 15ng/g (Peris et al., 2005).
Masiá et al. (2013) ont étudié l’accumulation de cinq pesticides différents dans les eaux d’une rivière en Espagne, entre 2010 et 2011. Ils ont montré que parmi les cinq pesticides étudiés, les organophosphorés et les triazines sont les plus détectés. La concentration des produits de dégradation de ces deux molécules dans les sédiments est beaucoup plus importante que les molécules d’origine. Des résidus d’atrazine étaient également trouvés dans les sédiments malgré leur interdiction en Europe depuis 2004. Ceci indique, non seulement sa persistance dans l’environnement mais aussi son utilisation illégale.