En 1609, Uugo Grotius, (cité par Boudouresque, 2002), décrivait les ressources marines comme étant inépuisables, et depuis, le principe de libre accès à ces ressources régissait la pêche (Troadec et al, 2003). Mais sous l’effet de la pression anthropique induite par la croissance de la population et de la production par habitant, de nombreuses ressources naturelles deviennent rares et de ce fait passent du statut de « biens libres » à celui de « biens économiques 1» (Boncoeur, 2003).
La raréfaction générale des ressources halieutiques observée depuis la deuxième guerre mondiale a conduit à la révision, en 1982, du droit de la mer et au transfert aux Etats riverains de la responsabilité de la régulation de la pêche sur l’essentiel des ressources mondiales.
Les ressources biologiques exploitées par la pêche sont, dans la plupart des cas, des ressources communes, c’est-à-dire qu’il est très difficile de définir des titres de propriété individuels sur la ressource avant sa capture. Ceci tient au caractère difficilement divisible de ces ressources qui sont composées de multiples individus mobiles difficilement repérables individuellement (Frangouds, 2000. Sanchirico et al, 2002. Boncoeur, 2003).
En plus du fait qu’elles sont rares, les ressources halieutiques sont communes, et leur usage se réalise par le biais de consommations individuelles mutuellement exclusives. Les prélèvements opérés par les uns réduisent de façon immédiate la disponibilité de la ressource pour les autres, et donc leur capture pour un effort de pêche donné. Ce sont donc des externalités2 négatives croisées dans lesquelles chaque participant est, à la fois, émetteur et récepteur. Ce phénomène appartient à la catégorie des externalités d’encombrement, et avec la présence d’effets externes, l’équilibre concurrentiel devient inefficace. (Weber, 1995. Boncoeur, 2003). Les effets externes faussent la rationalité individuelle des agents et le jeu de la concurrence. (Duplan, 2001)
Si les ressources halieutiques, qui sont rares, indivises et soustractives, sont en accès libre, c’est-à-dire en l’absence de limitation et de contrôle de l’accès, cette situation met en place une dynamique de dilapidation des ressources, de surexploitation et de surinvestissement (Weber, 1995).
En l’absence de mécanisme de régulation, le nombre de pêcheurs et leur efficacité auront tendance à croître, les captures par unité d’effort auront tendance à diminuer et les coûts unitaires d’effort vont augmenter. Cette évolution se fera jusqu’à la dissipation totale du surplus des producteurs, et même au-delà, dans la mesure où les ajustements ne sont pas instantanés (coûts de sortie, opportunité d’autres activités, délais de financement et de construction d’autres navires…) (Gilly, 1989).
En Algérie, bien qu’officiellement, on ne parle pas encore de situation de surpêche, un simple calcul des moyennes pondérales de la production par bateau ou par marin (tableau 1) nous montre que ces deux indices déclinent depuis 2001.
Tableau n° 1 : Les moyennes pondérales annuelles de la production par bateau et par marin unité, tonne.
Année | 2001 | 2002 | 2003 | 2004 | 2005 | 2006 | 2007 |
P / bateau / an | 50.21 | 46.63 | 42.99 | 37.63 | 35 | 37.57 | 33.58 |
P / marin /an | 4.61 | 4.4 | 4.15 | 3.32 | 3 ,16 | 3.1 | 2.76 |
Source : Fait par nous à partir des données de MPRH3
Pour remédier à cette situation, l’Etat doit intervenir, par le biais des politiques publiques, en mettant en œuvre des mécanismes de régulation, dans le but d’assurer un meilleur équilibre entre exploitation et durabilité de la ressource halieutique.
Selon l’analyse coûts avantages, qui dérive du modèle néoclassique, l’exploitation d’une ressource n’est souhaitable que si les rendements futurs actualisés sont positifs. A cet égard, la concurrence parfaite s’avère le meilleur mécanisme par lequel l’épuisement des ressources naturelles peut être régulé efficacement. En effet, la gestion optimale d’une ressource consiste à déterminer le maximum de revenu ou de profit que le flux de ressource procurera au cours de la période d’exploitation (Duplan, 2001). Mais les ressources halieutiques, contrairement aux ressources minières, ont la caractéristique d’être renouvelables, ce qui offre la possibilité de leur exploitation d’une manière durable ou soutenable. Toutefois, leur potentiel de renouvellement étant limité, un équilibre doit être trouvé entre leur exploitation et leur conservation. (Weber, 1995)
Pour ce faire, les pouvoirs publics sont appelés à mettre en œuvre des mécanismes appropriés pour assurer le meilleur rapport possible entre exploitation et durabilité des ressources halieutiques.
Si les formes de contrôle peuvent être très diverses, elles relèvent, en fait, de trois principes fondamentaux : i. la limitation de l’accès (interdiction spatiale ou temporelle), ii. le contrôle de l’input (nombre de bateaux, de jours de pêche, limitation technique…) ou iii. le contrôle de l’output (quotas sur le volume de production).
Au début, les dispositifs de restriction spatiale et / ou temporelle d’activité de pêche étaient relativement peu utilisées à cause des difficultés de surveillance, mais surtout des fortes oppositions des professionnels concernés qui se voyaient exclus de leur zone de pêche, parfois sans réelle possibilité de se déplacer vers d’autres lieux de pêche, trop éloignés de leur port d’origine (Forest, 2003). Toutefois, la prise de conscience de la fragilité du milieu marin et le constat d’échec de la gestion des pêches au niveau mondial ont concouru un nouvel élan à ces approches spatialisées de la gestion des ressources marines.
En 1988 l’UICN4, lors de sa 17ème session (Sans José, Costa Rica), a formulé la demande pour l’établissement d’un réseau mondial d’aires marines protégées, et la même demande fut aussi parmi les recommandations du IV congrès mondial sur les parcs (Caracas, 1992).
Les groupes de pression environnementaux relayés par des responsables politiques et des écologistes militent intensivement pour la généralisation de la création d’aires marines protégées, censées couvrir à terme 20 à 30% de la surface maritime. Ce mouvement général a trouvé son expression dans les recommandations du Sommet Mondial pour le Développement Durable de Johannesburg (2002) relayé par le Congrès sur les Parcs de Durban (2003) avec la recommandation d’établir avant 2012 un système mondial de réseaux d’aires protégées marines et côtières et celle de protéger la diversité biologique marine et les processus écosystémiques. (Dahou et Al, 2005)
En Méditerranée, cet objectif (engagement), s’effectue dans le cadre juridique et politique que constitue la convention, de Barcelone de 1976, et l’UICN-Med soutient toute initiative (locale, régionale ou nationale) dans le cadre de cette convention. L’Algérie étant également consciente de ces enjeux, s’est défini des objectifs de performance en matière de sauvegarde de son patrimoine biologique et écologique marin dans le cadre du Plan d’action National pour l’Environnement et le Développement Durable appelé aussi PNAE-DD. Ces objectifs ont été confortés par la promulgation de « la loi littorale ». Le plan d’action national pour la mise en place des aires marines et côtières protégés identifie les grandes lignes et les principales orientations du processus enclenché au milieu des années 90. Dans ce contexte, le Ministère de l’Aménagement du Territoire et de l’Environnement (MATE) a érigé les îles Habibas en Aire Marine Protégée (AMP) en 2003. Il a, également, entamé une étude pour la zone de Rechgoun à Tipaza Par ailleurs, dans le même sillage que la Direction Général des Forêts, qui gère les parcs nationaux côtiers, s’est inscrite à travers un programme ambitieux d’extension des parcs nationaux côtiers aux zones marines, notamment du Parc National d’El Kala, (PNEK) du Parc National de Taza (PNT), du Parc National de Gouraya (PNG) et de l’aire marine de l’île Aguelli (extension naturelle du lac côtier de Reghaia qui communique avec la mer). C’est dans cette optique que s’insère notre présente recherche qui a comme objectif de faire un diagnostic de l’impact socio-économique de la création d’une aire marine protégée et l’identification des sources de pressions, ce qui permettra aux gestionnaires de la future AMP, d’anticiper, afin de prévenir, d’éventuels conflits d’usage.
Dans le cas de la partie marine du PNT, l’activité de pêche dans le port de Ziama Mansouriah semble la plus concernée. Dans ce contexte, notre modeste travail tente de réponde à la question principale suivante : Quel serait l’impact socioéconomique de la création d’une Aire marine protégée sur la pêche artisanale locale dans la partie marine du PNT ?
Pour répondre à cette question nous avons émis les hypothèses suivantes :
Hypothèse 1 : le mépris des pêcheurs de tout ce qui émane des autorités officielles conjugué aux différents problèmes qui caractérisent l’activité de pêche ferait que ces derniers rejetteront en bloc toute initiative de gestion qui ne serait pour eux qu’une tentative de restriction voire d’exclusion.
Hypothèse 2 : la dégradation de l’état de la ressource, constatée par les pêcheurs eux mêmes, ainsi que leur su de ce qui se passe sous d’autres cieux où beaucoup de pêcheurs se trouvent en chômage, suite à la dégradation de la ressource, ferait que les pêcheurs accueilleront favorablement l’idée de gérer la ressource par le biais des AMPs.
Hypothèse 3 : les pêcheurs objectifs feront dépendre leur consentement, des coûts qui ils auront à supporter et des avantages qui ils tireront de la création de l’AMP, voire même instrumentaliser l’AMP pour demander ce qu’ils n’ont pas pu avoir auparavant.
D’après le MPRH (2006), un projet de mise en place d’un système statistique apporterait une information fiable et objective pour la prise de décision et la mise en place de politiques de développement viables.
Afin de confirmer ou d’infirmer ces hypothèses, nous avons scindé notre travail en deux parties :
- Une partie consacrée à la pêche et aux politiques de gestion des ressources halieutiques dans le monde et en Algérie. Cette partie compte deux chapitres, un premier qui traite de l’activité des pêches en Algérie, un deuxième qui aborde les politiques de gestion des pêches pratiquées à travers le monde,
- Une deuxième partie traite les AMPs comme choix public. Elle s’appuie sur deux chapitres, un chapitre sur les AMPs, leur historique, leur classification et leurs fondements écologiques. Le dernier chapitre présente les résultats d’une approche empirique qui traite du projet de création d’une AMPs dans la partie marine du PNT.
Source:
BOUZOURENE, Ali 2010 . Essai d’évaluation de l’impact socio-économique de la création d’une réserve marine protégée sur la pêche artisanale locale.