Le phosphore adsorbé sur les constituants des sols

Facteurs qui régissent la consommation de l’eau par les cultures
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Dans la plupart des sols, les formes minérales recensées précédemment ne représentent qu’une partie du phosphore total présent dans le matériau. L’étude par microsonde montre que le phosphore est plus généralement dispersé dans la matrice. Il se trouve alors adsorbé à la surface des particules constitutives du sol : argiles, matières organiques, oxydes ou hydroxydes de fer ou d’aluminium. Les phénomènes d’adsorption et de désorption présentent des cinétiques rapides par rapport aux réactions de précipitation ou de dissolution. Pour cette raison, ils contrôlent les concentrations de phosphore dans la solution du sol et par conséquent, sa mobilité et sa bio-disponibilité (Vanden Bossche ,1999) .

1. Les mécanismes d’adsorption

L’adsorption est l’accumulation nette de matériel sur une interface. Généralement, il s’agit de l’interface entre une phase solide et une phase liquide. Ce type de réaction diffère de la précipitation (Sposito, 1989). La molécule qui s’accumule ainsi est l’adsorbat. La surface solide sur laquelle elle s’adsorbe est l’adsorbant.
Certains auteurs emploient le terme de sorption pour évoquer ces phénomènes. Ce terme a une signification plus large car il couvre les réactions rapides d’adsorption et de désorption ainsi que des phénomènes plus lents (Sposito, 1989; Frossard et al., 1995). En effet, l’adsorption rapide de phosphore sur les particules du sol est suivie de réactions plus lentes attribuées à une diffusion solide (Barrow, 1985) ou liquide (Sollins, 1991). La diffusion à l’état solide est une réaction endothermique (Barrow, 1985). Elle s’effectuerait par échange d’ions .
Le tableau 5 (partie gauche) recense les principaux groupements fonctionnels impliqués dans l’adsorption spécifique des sols. La plupart de ces groupements appartiennent à des molécules organiques. Ils apparaissent ainsi à la « surface » des molécules constitutives des substances humiques. Le groupement OH (alcool dans la matière organique, hydroxyle dans les constituants minéraux de sols) est aussi présent à la surface des oxydes de fer ou d’aluminium ainsi qu’en bordure des feuillets d’argiles. Le tableau 5 (partie droite) illustre les principaux modes de liaison spécifique sur les surfaces comportant des groupements OH. Dans le cas des ions phosphates, la liaison se constitue par un échange de ligands .
Tableau 5 : Principaux groupements fonctionnels à la surface des particules constitutives des sols d’après Sposito (1989) et réactions d’adsorption spécifiques sur les groupements hydroxyles d’après Schindler et Stumm (1987).

Groupements réactifs de surface Réactions des groupements OH
Nom des groupements  Formule structurale Acide  base
S―OH+H+                ↔     S―OH2+ S―OH+H                ↔     S―O+H2O
Adsorption de cations métalliques M2+
S―OH+Mz+              ↔     S―OM(z-1)++H+
2S―OH+Mz++H2O   ↔  (S―O)2M(z-2)++2H+
S―OH+Mz++H2O     ↔    S―OM(z-2)++2H+
Echange de ligands L-
S―OH+L                ↔     S―L+OH 2S―OH+L              ↔     S2―L++OH
Carboxyle                       ―COOH Carbolyl                          ―CO― Amine                             ―NH2
Imidazole            Noyeau aromatique ―OH
Phénolique         Noyeau aromatique ―NH
Alcool ou Hydroxyle       ―OH
Sulfhydryl                       ―SH

La charge de surface des particules constitutives du sol peut être permanente ou variable, dépendante du pH. Les charges permanentes s’observent à la surface des minéraux argileux ainsi que dans des oxydes mixtes ferroso-ferriques de type «rouilles vertes »(Trolard et al., 1997). Elles sont le reflet de substitutions isomorphiques hétérovalentes de cations au sein du réseau cristallin. Ainsi, dans les couches tétraédriques, certains ions Si4+ peuvent être remplacés par des ions trivalents, essentiellement Al3+. De même, des cations Fe2+ et Mg2+ se substituent à Al3+ (Morel, 1996; Sposito, 1984; Stumm et al., 1996). Ces substitutions créent une charge permanente négative aussi appelée charge réticulaire ou inhérente. Elles sont caractéristiques des argiles 2/1 (illites, vermiculites, smectites). La charge réticulaire est compensée par des cations, adsorbés à la surface des feuillets (Duchaufour, 1995). Ces derniers contribuent à la capacité d’échange cationique des argiles (Uehara et al., 1980; Anderson et al., 1991). La charge réticulaire des argiles est donc toujours négative. Par conséquent, elle exerce un effet répulsif sur les ions phosphates.
Les charges variables s’observent notamment sur les surfaces d’oxy(hydro)xydes de fer ou d’aluminium. Elles se forment à la surface de minéraux bien cristallisés mais aussi sur les phases colloïdales du fer et de l’aluminium. Ces dernières, du fait de leur importante surface spécifique présentent une réactivité importante. Les charges de surfaces variables apparaissent aussi sur les argiles. Elles se répartissent alors en bordure des feuillets (Sposito, 1989). Enfin, les substances organiques (souvent colloïdales) présentent aussi une charge de surface variable. Celle-ci est généralement négative dans les conditions de pH des sols (Lofts et al, 1998). Dans tous les cas la charge s’explique par le caractère amphotère des surfaces comportant des groupements OH, NH3 ou COOH. Ces dernières peuvent, en effet, se comporter comme des acides ou bases selon le pH (Schwertmann et al, 1991).

2. Les surfaces réactives vis à vis des ions phosphates

2.1.Les surfaces de carbonates de calcium.

Le terme de sorption est parfois employé abusivement pour les sols calcaires (Vanden Bossche ,1999 ). Les surfaces de carbonates de calcium favorisent plutôt la nucléation et la croissance de phosphate de calcium. Freeman et al (1981) ainsi que Syers et al (1989) ont montré ce phénomène par l’étude d’une surface de calcite au microscope électronique à balayage et par diffraction des rayons X. Ils ont mis en évidence la nucléation de monocalcium-phosphate MCP, Ca(H2PO4)2 et de dicalciumphosphate DCP, Ca(H2PO4)2. Ces phases minérales se transforment en dicalciumphosphate dihydraté DCPD, Ca(HPO4).2H2O et lentement en octocalcium phosphate OCP, Ca8H2(HPO4)6.5H2O. Finalement ces différentes espèces sont des précurseurs de l’hydroxyapatite (Lindsay et al., 1989). Salingar et al (1994) ont confirmé la nucléation d’un précurseur des phosphates de calcium sur les surfaces de calcite par microscopie électronique à balayage. Ils ont montré, par spéciation de la solution qu’il s’agirait d’un composé Ca-PO4-CO3, pour lequel il propose un produit de solubilité:(Ca2+)3(HCO3 )3(PO43-) = 10-28,36.
L’adsorption sensu stricto sur la surface de calcite s’opère réellement. Mais elle correspond à une période très courte, avant la nucléation d’un phosphate de calcium qui s’apparente à de la croissance cristalline.
Carreira et al (1997) ont étudié la fixation du phosphore dans les sols calcaires (dolomitiques) méditerranéens. Le phosphore lié au calcium y était essentiellement composé d’apatite. Cependant, une partie du phosphore labile est apparue adsorbée sur les carbonates. Castro et al (1998) ont mené une étude similaire sur des vertisols et inceptisols d’Andalousie. Le phosphore y semblait contrôlé par une phase minérale du calcium, moins soluble que l’octocalcium-phosphate. Lors de l’apport d’engrais, celle ci apparaissait après un certain temps de contact. Cette insolubilisation du phosphore semble favorisée par les plus fortes concentrations en phosphore. Enfin, dans des sols calcaires de l’ouest australien, Samadi et al (1998) ont monté que le phosphore des engrais se répartissait entre les oxydes d’aluminium (29 % du P) et de fer (13 %) et formaient du dicalcium phosphate (28 %) de l’octocalcium phosphate (26 %) ainsi que de l’hydroxyapatite (13 %).

2.2.Les surfaces d’oxy(-hydro)xydes de fer ou d’aluminium.

Dés 1975, Prafitt et al. ont montré par spectroscopie infrarouge que l’adsorption du phosphore sur les surfaces d’oxy(-hydro)xydes de fer résultait d’une ou de deux liaisons covalentes. Depuis, d’innombrables études ont été conduites pour modéliser l’adsorption des ions sur ces minéraux (Goldberg et al, 1984; Lindsay et al., 1989; Syers et al, 1989; Barrow et al., 1990; Pierzynski, 1991; Fardeau et al, 1992).
Les auteurs qui abordent l’adsorption sous l’angle (( mécanistique )) s’accordent pour décrire l’adsorption du phosphore comme un échange de ligands (voir tableau 5).  L’adsorption est plus importante sur la goethite que sur l’hématite. Ce résultat traduit une meilleure accessibilité des groupements OH mono coordonnés sur les faces de la goethite (Torrent et al., 1990).
L’adsorption sur les oxydes d’aluminium (gibbsite) est expliquée par des phénomènes similaires : la formations de complexes . Ces derniers ont notamment été observés indirectement par Kyle et al. (1975) ainsi que Prafitt et al. (1977). Lorsque les concentrations en phosphate dans la solution dépassent 30 ppm, l’adsorption est remplacée par des réactions de précipitation. Il se forme alors un phosphate d’aluminium.

2.3. Les surfaces d’argiles

L’adsorption spécifique sur les argiles peut se faire par échange de ligand, uniquement sur les bords des feuillets d’argile (Madrid et al., 1991). Des complexes de sphère interne se formeraient aussi sur les surfaces d’argiles à charge permanente, par l’intermédiaire de cations polyvalents (Morel, 1996). Kodama et al (1975) ont, par ailleurs, montré que des phosphates pouvaient être incorporés entre des feuillets de montmorillonite sous forme de phosphates d’aluminium hydratés.
Ces modes d’adsorption semblent relativement mineurs comparativement à l’adsorption sur les oxy(-hydro)xydes de fer ou d’aluminium (Mc Laughlin et al., 1981). Toutefois, sur des argiles 1/1 telle la kaolinite, Schwertmann et al (1992) ont établi que l’adsorption de phosphore était proportionnelle à la surface spécifique. En fait, dans les sols, les argiles sont généralement associées aux oxy(-hydro)xydes. Ces derniers forment des revêtements pelliculaires à la surface des minéraux silicatés du sol (Hendershot et al, 1983). Cette pellicule confère à l’ensemble une charge de surface variable et une forte propension à fixer les phosphates (Perrott et al., 1974).

2.4.La matière organique.

L’adsorption directe du phosphore sur la matière organique des sols est rarement évoquée dans la littérature. En revanche, la matière organique forme des complexes stables avec les cations métalliques du sol : Fe, Al et dans une moindre mesure Ca. Ces complexes sont appelés organométalliques (Levesque et al., 1969; Haynes, 1984; Bloom, 1981; Gerke et al., 1992). Ces assemblages forment des colloïdes réactifs à l’égard des groupements phosphates. Le mode de liaison invoqué par ces auteurs, est la formation de complexes HA-Metal-PO4. Ainsi, lorsque le phosphore d’un sol semble lié à la matière organique, il y a souvent une excellente corrélation entre le pouvoir fixateur de celle-ci et sa concentration en Al ou Fe (Martin et al., 1957). Ainsi, Bloom (1981) indique que la rétention des phosphates dans les sols acides riches en matiére organique est le fait de complexes organométalliques alumineux. De même, Negrin et al. (1996) ont découvert, dans des andosols des Canaries, que la désorption de phosphore était en partie contrôlée par la formation de complexes solubles Al-P-acide fulvique.
Cependant, la matière organique lorsqu’elle est dissoute joue aussi un rôle compétiteur vis à vis de l’adsorption des phosphates sur les oxy(-hydro)xydes de fer ou d’aluminium et éventuellement sur les argiles (Hue, 1991). La littérature sur cet aspect est abondante. Cependant, elle diverge quant à la nature des sites occupés respectivement par les phosphates et la matière organique. En fait, les résultats semblent varier selon la nature des molécules organiques et des surfaces d’oxydes considérées ainsi que les conditions expérimentales (pH, concentrations relatives en P et matière organique dans la solution). Ainsi, Frossard et al. (1986) ont mis en évidence la libération de phosphates sous l’influence de glucose et de xanthane, dans des sols ferrallitiques brésiliens. Geelhoed et al. (1998) montrent que l’adsorption de citrate par la goethite est fortement influencée par un apport de phosphate, à pH légèrement acide. En revanche, le phosphate adsorbé est moins facilement désorbé par un apport de citrate. Dans les andosols, le phosphore est essentiellement adsorbé sur des oxy(hydro)xydes d’aluminium. Beck et al. (1999) ont montré par des essais sur colonne que l’adsorption de phosphore y provoquait une solubilisation de matière organique. Nilsson et al. (1996), ont cherché à interpréter la compétition entre phosphate et phthalate vis à vis de l’adsorption sur la goethite. Ils emploient un modèle où le phtalhate forme des complexes de sphère externe. Ainsi, le phthalate n’a que peu d’effet sur l’adsorption de phosphate. En revanche, la concentration en phosphate qui modifie la force ionique de la solution affecte l’adsorption du phthalate. Des expériences réalisées sur un complexe aluminium-hydroxysulfate par Violante et al. (1996) illustrent une compétition entre phosphate et oxalate. Cependant, l’effet plus important des phosphates sur la libération de sulfates reflète une disparité des sites d’adsorption. Enfin, Lan et al. (1995) montrent que dans certains cas la libération du phosphore sous l’action de la matière organique s’accompagne d’une solubilisation de l’aluminium. La création de complexes avec des anions organiques favorise, en effet, la dissolution des oxy(-hydro)xydes. Ce phénomène se produit naturellement dans les sols. Ils s’agit de la complexolyse (Duchaufour, 1995).

Source:

ZEMOURA ABD EL KADER .2005 . étude comparative de quelques méthodes de dosage du phosphore assimilable des sols calcaires en région semi aride w de Batna.

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