1. Ions phosphate en solution
Les plantes prélèvent les ions phosphates dissous dans la solution de sol. La concentration des ions P dans la solution de suspension de sol (1g :10 ml) est généralement comprise entre 0,05 et 2 mg P L-1 et peut atteindre 4 à 5 mg P L-1 dans des sols d’exploitations d’élevage intensif à forts excédents structurels (Morel et al, 1997) . En supposant que ces valeurs s’appliquent à des conditions optimales d’humidité de plein champ (par exemple, 30 % d’humidité dans 3500 t de terre ha-1), la quantité d’ions phosphate présents dans la solution de sol au champ peut donc varier de quelques dizaines de grammes par hectare à plusieurs kilogrammes de P. En moyenne, le P prélevé annuellement par une culture est de l’ordre de 45 kg P ha-1 (Figure 9). En considérant qu’il y a 0,4 mg P L-1 en solution, il y a à un instant donné environ 400 g de P dissous soit environ 1% du P prélevé sur la durée du cycle. La phase solide du sol doit donc libérer environ 99% du P prélevé lors d’un cycle saisonnier et constitue donc la principale source de P pour la racine.
2. P de la phase solide
Un premier niveau d’analyse élémentaire consiste à étudier la répartition de la quantité totale de P du sol entre le P minéral, le P organique et le P de la biomasse microbienne (Figure 8). Dans les sols de grande culture, cultivés depuis plusieurs décennies, de l’ordre de 75% du P est sous forme minérale, plus de 20% sous forme organique et le complément dans la biomasse microbienne du sol. Cette première observation pourrait signifier que la fraction phytodisponible du P du sol provient pour l’essentiel du P minéral. Ce serait oublier qu’entre les stocks de P dans le sol et le prélèvement de P par la racine des plantes cultivées, il y a l’ensemble des mécanismes évoqués précédemment. Une simple teneur même élevée n’est pas synonyme de forte participation à la nutrition phosphatée des plantes. Pour tenter d’affiner ce premier niveau d’analyse, la contribution au prélèvement de P par la culture de chacune des composantes minérale, organique et microbienne du P du sol a été estimée.
3. Fraction phytodisponible du P inorganique du sol
Le traçage isotopique est une méthode de choix pour quantifier et comparer l’origine du prélèvement d’un élément donné du sol par différentes espèces qu’elles soient ou non mycorhizées (Bolan, 1991 ; Morel et al, 1994). Dans cette méthode, on considère que les différents isotopes du P (31P, 32P et 33P) ont des comportements strictement identiques et qu’il n’y a pas de discrimination isotopique durant les phénomènes étudiés que ce soit lors du prélèvement de P du sol par la plante ou pendant le transfert d’ions P entre le sol et la solution (Fardeau, 1981).
Quelques travaux ont montré l’identité de composition isotopique du P prélevé par différentes espèces cultivées, ray-grass, orge, soja, qu’elles soient ou non mycorhizées (Bolan, 1991 ; Morel et Plenchette, 1994) bien que les quantités prélevées varient parfois fortement . L’ensemble de résultats expérimentaux obtenus permet de conclure que dans les conditions de la pratique agricole courante les différentes espèces cultivées s’alimentent à partir de la même source de phosphore du sol. Cependant, il n’informe pas sur la nature de cette source (Morel , 2002) .
Pour ce faire, identifier la fraction du P phytodisponible du sol, deux études ont été réalisées en parallèle (Fardeau, 1981) : l’une sur le système sol-plante et l’autre sur le système sol-solution, toujours en utilisant le marquage et l’analyse de la dilution isotopique des ions P de la solution. La composition isotopique du P prélevé par une plante (ray-grass) a été mesurée après 2 et 3 mois de culture en pots dans des échantillons de sols ayant reçu des fertilisations croissantes de P . En parallèle, ils ont également déterminé la cinétique de la composition isotopique des ions P en solution dans une suspension de sol (rapport 1 g : 10 ml) à l’état stationnaire afin de quantifier le transfert par diffusion des ions P à l’interface sol-solution ( Morel , 2002 ) . Pour un sol donné, la composition isotopique du P prélevé sur une période de culture donnée ne diffère pas significativement de celle des ions P en solution déterminée sur la même période .
L’identité de composition isotopique à la fois des ions P en solution et du P prélevé par la plante a été confirmée et étendue à beaucoup d’autres systèmes sol-solutionplante-engrais . Cette approche a également été utilisée avec succès pour d’autres éléments comme le potassium (Fardeau et al., 1979), le cadmium (Smolders et al., 1999; Gérard, 1999 ; Hutchinson et al., 2000), le nickel (Echevarria et al., 2000) ou le zinc (Sinaj et al., 1999). Ce résultat permet de conclure que :
- d’une part l’origine du P prélevé est l’ensemble des ions P en solution et des groupements phosphate du sol qui diffusent à l’interface sol-solution. La fraction phytodisponible du P du sol est donc la somme du P dissous et de la fraction du P minéral du sol susceptible de passer en solution sous l’effet d’un gradient de concentration ;
- et d’autre part, la méthode expérimentale utilisée, traçage et suivi de la dilution isotopique des ions P en solution dans une suspension de sol (1g : 10 ml eau distillée) à l’état stationnaire sans activité microbiologique ni modification des conditions chimiques, est parfaitement adaptée pour prévoir la phytodisponibilité du P du sol .
Ce résultat tend à montrer que le mécanisme majeur de mobilisation du P du sol par les racines pendant le prélèvement est la diffusion des ions phosphate à l’interface sol-solution et permet de considérer que les ions P diffusible du sol est la source majeure de P du sol absorbée par les racines. Compte tenu des conditions opératoires (pas de modifications physico-chimiques ni d’activité microbienne dans la suspension de sol), ce résultat laisse supposer que d’autres mécanismes, dissolution de minéraux phosphatés et minéralisation de P organique, n’interviendraient pas de manière significative dans la mobilisation du P par les racines dans les sols cultivés de longue date sous grande culture. Des études complémentaires ont donc été menées afin de préciser la contribution à la nutrition des plantes de quelques minéraux phosphatés, comme le P apatitique des phosphates naturels par exemple, et des autres composantes phosphatées du sol, comme le P organique et le P de la biomasse microbienne du sol ( Morel, 2002 ).
4. Contribution à la nutrition des plantes de minéraux phosphatés
Le prélèvement réel de P à partir de différent minéraux P a été mesuré dans des systèmes sol-plante et exprimé par rapport au prélèvement réel de P d’une forme soluble dans l’eau (le diammonium phosphate ou le triple-superphosphate) obtenu dans les mêmes conditions de culture. ( Morel , 2002 ) . L’un est un phosphate de calcium de type apatitique; l’autre est un mélange de phosphate de calcium de type apatitique et de phosphate d’aluminium et de fer.
Le prélèvement relatif de P du phosphate naturel de Caroline du Nord augmente lorsque le pH du sol diminue, résultat en parfaite adéquation avec le diagramme de solubilité du phosphate apatitique. La valeur fertilisante du phosphate alumino-calcique, dont l’usage était recommandé en sol basique, est faible et indépendante du pH du sol.
Cet ensemble d’études confirme et précise que l’efficacité du P apatitique est étroitement dépendante de l’acidité du sol. En sol de pH neutre et basique, l’utilisation du P apatitique par la plante est faible et souvent proche du pourcent. Des effets rhizosphériques locaux et cumulés dans le temps, tel que l’excrétion de protons et/ou d’anions organiques (Hoffland et al., 1989 ;Staunton et al, 1996; Hinsinger, 1998; Kirk, 1999) par les racines pouvaient sur le long terme induire une dissolution significative du P de ces composés.
Afin de quantifier cet éventuel effet rhizosphérique. Des quantités massives de phosphate naturel de Gafsa (Tunisie), phosphate apatitique voisin du phosphate naturel de Caroline du Nord, ont été apportées pendant plusieurs années (Tableau 6). La phytodisponibilité du P des échantillons de sol fertilisés par des apports importants et répétés de phosphate naturel est non seulement inférieure à celle d’échantillon de sol ayant reçu les mêmes quantités de P soluble-eau mais surtout, elle est également inférieure à la phytodisponibilité du P du sol témoin qui n’a pas reçu de P( Morel, 2002).
Ces résultats, confirmés par l’étude de la solubilité et de l’extractabilité du P par la méthode Olsen (Tableau 6), indiquent que dans les conditions de plein champ, la dissolution de phosphates minéraux, particulièrement peu solubles dans l’eau, peut probablement être négligée même après une longue période de ‘maturation’ dans le sol.
Variables | Témoin non fertilisé | TSP | Phosphate naturel | |||
Essai de Blesmes (Collaboration INRA-Laon, 1986). Apport de 100 kg P2O5 ha-1 an-1 pendant 15 ans | ||||||
Phytodisponiblité : P prélevé par une culture de ray-grass (3 mois) mg P kg-1 sol | 15.3 | 22.2 | 13.5 | |||
Solubilité : Cp* mg P L-1 | 0.16 0.34 0.13 | |||||
Extractabilité : P-Olsen mg P kg-1 | 19.2 28.8 | 14.4 | ||||
Dispositifs de l’INA-Paris-Grignon. Apport de 240 kg P2O5 ha-1 an-1 pendant 4 ans après 1986 (Fardeau ,1991 ; communication personnelle) | ||||||
Témoin non fertilisé | TSP | Phosphate naturel | ||||
Sans apport de P entre 1965 et 1986 |
1 Cp mg P L– |
0.04 | 0.47 | 0.03 | ||
Avec apport de P entre 1965 et 1986 |
1 Cp mg P L– |
0.31 | 1.11 | 0.29 |
Tableau 6 : Phytodisponibilité, solubilité et extractabilité du P ajouté massivement sous forme de phosphate naturel de Gafsa ou de TSP dans deux dispositifs expérimentaux de plein champ. Comparaison avec un traitement témoin ne recevant aucun apport de P sur la même période. * Cp: concentration des ions P dans la solution filtrée (0.02µm) d’une suspension (1g :10 ml) de sol mise à l’équilibre pendant 16 h à 20°C (Morel , 2002).
5. Contribution du P organique à la nutrition des plantes de grande culture
Dans les sols cultivés de longue date, le P organique représente en moyenne de l’ordre de 20 % du P du sol (Figure 8) alors que dans d’autres écosystèmes (prairies permanentes, forêts) le P organique peut représenter jusqu’à 80% du P total ( Morel , 2002 ) .
La minéralisation nette du P de la matière organique du sol (MOS) peut également être estimée en considérant la dégradation du carbone et le rapport C/P de la matière organique. Par exemple, en reprenant les données de Fardeau et al. (1988) relatives à des sols de parcelles de grande culture d’une exploitation , la teneur en carbone organique est de l’ordre de 1% (valeurs comprises entre 0.9 et 1.5%) avec des vitesses de minéralisation comprises entre 2.2 et 5% par an. En considérant un rapport C/P moyen de 100, ces 10 g C kg-1 sol de la MOS représentent l’équivalent de 100 mg PMOS kg-1 sol. La libération nette annuelle de P par minéralisation varie donc entre 2.2 et 5 mg P kg-1. Comme dans les conditions du champ, seuls quelques pourcents d’un apport de P soluble-eau sont prélevés par la plante les mois suivants cet apport (Boniface et al., 1979; Morel, 1988), la contribution de la minéralisation du P organique du sol à la nutrition des plantes peut être estimée à environ 0.2 mg P kg-1 an-1 (soit moins de 1 kg P ha-1 an-1 qu’il faut comparer au 30 kg P ha-1 an-1 prélevés en moyenne par les cultures (Figure 9).
En conclusion, malgré quelques évolutions significatives dans l’évaluation du flux brut et net du P minéralisé à partir des formes organiques, il subsiste néanmoins quelques incertitudes. Ces incertitudes ne permettent pas encore de disposer de méthodes suffisamment fiable et précise pour évaluer par exemple les conséquences de systèmes de culture différents sur le devenir à court et long terme du P organique des sols . En considérant la minéralisation annuelle nette du carbone et un rapport C/P moyen, la contribution du P minéralisé de la MOS peut être estimée à quelques pourcents pendant la période de prélèvement de P par la culture. Par conséquent, la phytodisponibilité du P organique du sol peut, en première analyse, être négligée dans l’évaluation de la phytodisponibilité du P du sol ( Morel , 2002 ).
6. Libération du P contenu dans les produits organiques
De très nombreuses sources de matières organiques contenant du P sous forme minérale et organique, résidus végétaux divers, fumiers et lisiers, composts urbains et boues de stations d’épuration…, peuvent être enfouies dans les terres agricoles et participer temporairement à la nutrition des cultures. Des études, réalisées en pots de culture, ont d’ailleurs montré que l’utilisation à court terme du P apporté sous forme de résidus de végétaux (racines et parties aériennes de Ray-grass, paille de blé) est équivalente à celle d’une forme minérale soluble et qu’elle est contrôlée par le rapport C/N des résidus (Thibaud et al., 1989). La vitesse de décomposition des résidus organiques décroît lorsque le rapport C/N augmente (Friesen et al., 1997). La dégradation rapide des parois végétales permet de libérer le P minéral et le P organique facilement minéralisable. Cette libération rapide de P a d’ailleurs été confirmée dans les conditions du champ (Linères et al, 1990) en suivant, sur une année, le devenir du P contenu dans les résidus de récolte du maïs, laissé en surface pendant la période automnale et hivernale (5 mois), puis enfoui. Le devenir du P est étroitement lié à celui de l’azote des résidus. Presque 80% du P des résidus a été minéralisé avant le début de la période de prélèvement de P par la culture. Durant la période de prélèvement de P par la culture, seuls quelques pourcents du P restant sont minéralisés ce qui ne représente que quelques centaines de grammes de P. Compte tenu du coefficient d’utilisation du P apporté au champ, la fraction phytodisponible du P organique des résidus végétaux ne représente que quelques grammes des 45 kg P ha-1 an-1 prélevé en moyenne par les cultures ( Morel C. , 2002 ). En première approximation, la phytodisponibilité du P contenu dans les résidus de récolte peut donc être également négligée dans l’évaluation de la phytodisponibilité du P du sol.
7. Phytodisponibilité du P de la biomasse microbienne du sol
Dans les sols de grande culture cultivés de longue date, le P de la biomasse microbienne ne représente que quelques pourcents du P total (Figure 8), équivalent à quelques dizaines de kilogrammes de P par hectare (Morel et al., 1996 ; Oberson et al., 1997). Les micro-organismes telluriques sont hétérotrophes pour le carbone et sont donc au repos jusqu’à ce qu’une source d’hydrates de carbone permette une reprise de leur activité. La rhizodéposition provenant des racines constitue un apport important d’hydrates de carbone, estimé à environ 20% du carbone assimilé par la photosynthèse. La stimulation de la microflore dans la rhizosphère induit donc obligatoirement une immobilisation de P dans la biomasse microbienne. Il est donc raisonnable de considérer la biomasse microbienne comme un compétiteur vis-à-vis des racines de la plante pendant la période d’absorption de P plutôt que comme une source de P. Pour des boues peu stabilisées avec un C/N élevé le développement de la biomasse microbienne du sol induit une immobilisation nette de N et donc de P et une réduction de la phytodisponibilité du P de ces produits Guivarch (2001).
Source:
ZEMOURA ABD EL KADER .2005 . étude comparative de quelques méthodes de dosage du phosphore assimilable des sols calcaires en région semi aride w de Batna.